Paysagiste

TEXTE URBANISME MARSEILLE-PLAINE-NOAILLES-RUE D’AUBAGNE

8 novembre 2018

https://pcdmq.blogspot.com/2018/11/paysagiste-un-metier-pour-construire.html

Paysagiste, pour construire avec les usagers, l’avenir partagé de la ville.

Jérôme Mazas, paysagiste
Depuis bientôt une semaine, l’actualité marseillaise est marquée par le drame de la Rue d’Aubagne dans le quartier de Noailles.
A cette heure, sept corps sans vie ont été retrouvés sous les gravats, plusieurs personnes sont encore portées disparues, cinq immeubles se sont écroulés ou ont été abattus. Toute la ville est en souffrance, les responsabilités de la Municipalité et des pouvoirs publics, des marchands de sommeil sont énormes. La mobilisation des habitants va grandissante. La solidarité est en mouvement pour aider les survivants, les déplacés. La colère se fait déjà entendre dans la rue,  elle va nécessairement aller crescendo en réunissant tous les Marseillais.
La Justice a démarré  son travail d’investigation et les coupables  de tant d’incuries devront assumer et répondre de leurs actes …
Cette catastrophe fait suite au scandale qu’a constitué la construction du Mur de la Honte sur la place Jean Jaurès. Ces deux évènements bien que d’importance et de gravité différentes renvoient, chacun à leur façon, à la politique municipale en matière d’aménagement urbain, de logement, de place de l’humain dans la ville.
Il est important, aussi, de pouvoir prendre du recul et de parler des gens dont le métier est d’intervenir sur les questions urbaines … de les faire parler de leur mètier.
Jérôme Mazas est paysagiste, humaniste et militant. Il a une conception de la ville diamétralement opposée à celle que avons pu vivre ces derniers temps à Marseille.

Le blog PCDMQ lui donne la parole.
Propos recueillis par Alain Barlatier.
Marseille, le 9 Novembre 2018

Entretien avec Jérôme Mazas, paysagiste DPLG, paysagiste-conseil de l’état au sujet du projet de transformation du quartier de la Plaine.

« Un élément très important de mon métier consiste à transmettre l’aménagement ou le ménagement d’un lieu à ses usagers actuels et futurs, telle n’est pas la démarche utilisée sur la Place Jean Jaurès ».

Jérôme Mazas, bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Oui bien sûr ! je suis paysagiste-concepteur depuis 1990. J’ai toujours été attiré par « l’autre » et mon métier je ne l’envisage qu’à travers ce prisme.
Pour moi l’altérité est l’élément fondateur de mon travail : j’ai tout de suite souhaité travailler dans les milieux urbanisés comme les quartiers denses, là où les besoins en « attentions humaines» sont les plus importantes. Mais quand j’en ai marre des humains je travaille aussi à la renaturation d’espaces sensibles comme des plages ou des espaces de nature. Je croise ces deux thèmes de travail en permanence pour apporter le plus d’ « éléments de nature » dans les espaces les plus urbanisés. Je crois en une écologie croisée entre des lieux hyperdenses et les éléments naturels et pour cette raison je travaille en permanence avec le monde des écologues et les chercheurs en sociologie urbaine. A l’inverse je ne cherche pas à amener de la densité (humaine) dans les espaces de nature : la nature a besoin de tranquillité pour résister à l’humain. Voir à ce sujet l’ouvrage de Valérie Chansigaud « La Nature à l’épreuve de l’Homme ».

En quoi consiste le métier de paysagiste dans le cadre de l’aménagement du territoire et plus particulièrement l’aménagement urbain ?
Comme je l’évoque dans les quelques lignes de ma présentation, le lien étroit entre l’homme et la nature ne fait aucun doute pour moi. Les axes que je donne à mon travail depuis ma sortie de l’Ecole Nationale du Paysage de Versailles, mais également déjà au sein de l’école, tentent de fabriquer un lien entre le citadin et les milieux naturels. Un étonnement le plus singulier a été de découvrir que les bords des voies ferrées au milieu de la Défense à Paris était le lieu d’un développement de la biodiversité les plus incroyables ; pour moi ces bordures infernales : bruit du métal des roues du train contre le métal des rails favorise une exubérance du végétal et des petits animaux et insectes, à l’écart de la présence du corps humain, de son piétinement, de son action néfaste contre la nature.
Cette présence de nature dans ce lieu improbable m’a conforté dans l’idée qu’une nature « sauvage » pouvait se développer dans les interstices de la ville et apporter ses services jusque « dans la ville ».
Et donc le métier du paysagiste c’est tout d’abord d’observer (le regard de l’observateur) ce qui fait Paysage : l’analyser, le révéler, le rendre compréhensible, en trouver des stratégies intrinsèques pour rendre cohérent un lieu à habiter, l’espace d’une cour d’école, d’un quartier, d’une ville, de plusieurs communes.
Mon travail consiste, à travers plusieurs temporalités et plusieurs échelles à comprendre le vivant et d’en décrire les contours, d’en comprendre les logiques (où habite la faune, dans quel type de milieu végétal, quels en sont les comportements pour en protéger les terrains d’action ou en favoriser d’autres lors de la création d’un projet de paysage, …).
C’est un métier étonnant qui demande de comprendre également les grands enjeux de société comme les questions du changement climatique et quel apport nous pouvons apporter aux contraintes liées à cette évolution. Je prends un exemple très concret : on a observé que sous des arbres à feuilles caduques il faisait plus frais que sous des arbres à épines (les pins par exemple). Lorsqu’il y a en plus une humidité ou bien la proximité d’un canal la nuit est plus fraîche que lorsqu’on se trouve à proximité sur une place où tout est minéral. En vue de préciser ces éléments d’observation on a travaillé avec des météorologistes en 2011 lors d’un séminaire avec des élus à Toulouse : ils nous ont confirmé que dans une avenue plantée d’arbres à feuilles caduques, la température nocturne était d’environs de 4 degrés inférieurs à celle d’une rue minérale, que si cette avenue était doublée d’un canal, comme on en trouve à Toulouse, la température était d’environ 7°c de moins.
On peut alors aisément comprendre l’énorme « plus-value » (je n’aime pas ce terme mais il est compréhensible par tou-te-s) que peut apporter la connaissance de ces éléments lorsqu’on aborde la question du réchauffement climatique : combinaison de plantation dense de végétal et la présence de l’eau. L’ingénierie du paysage ouvre des portes à non seulement apporter du confort urbain mais également à retrouver un lien avec des éléments de nature que beaucoup de villes ont laissé en marge de ses limites mais aussi très souvent dans des « délaissés ».
Un autre élément très important de mon métier consiste à transmettre l’aménagement ou le ménagement d’un lieu à ses usagers actuels et futurs. Il est donc indispensable que dans chacun des projets qu’il soit urbain ou rural cette concertation soit prise en compte.
C’est un travail long mais passionnant pour lequel on utilise souvent l’outil maquette et aussi le vote des participants pour être au plus près des souhaits des usagers.


Place Jean Jaurès

Quels sont vos interlocuteurs ? l’état ? les collectivités locales ?
Oui essentiellement des donneurs d’ordre publics ; je fais ce métier pour la population qui vit sur mes espaces de projets dans les milieux urbanisés et si possible dans les quartiers où il y a peu de moyens. Je ne le fais pas pour moi ni pour ceux qui ont les moyens de se payer individuellement un paysagiste-concepteur même si parfois, j’ai épaulé un architecte en l’accompagnant à réaliser un jardin en même temps que son projet de logement.
Ce sont donc des petites comme des grandes communes, les départements, régions voire ministères qui nous interrogent aussi à travers les marchés publics sur des réflexions très diverses à l’échelle d’une métropole, d’une ville, d’une commune rurale ou d’une parcelle. Il peut s’agir d’études stratégiques comme de projets plus concrets d’espaces publics par exemple. J’ai abordé des questions comme celle de la dés-imperméabilisation des sols en milieu urbanisé dense, la résorption des îlots de chaleur par le travail du végétal et de sa faculté à transpirer (et donc rafraichir l’espace concerné).

Sur quels type de dossiers votre agence Horizons basée à Marseille, intervient-elle ?
Depuis 1994 où je suis installé à Marseille j’ai finalement assez peu travaillé sur des problématiques locales, plutôt dans d’autres grandes villes françaises mais aussi dans des secteurs fragiles de renaturation de plages ou bien d’espaces sensibles sur le site de la Sainte Victoire (Interface ville-Port Le Havre, Cœur de ville Saint-Etienne, Les Izards « habiter le parc agricole »Toulouse, Place Saint-Michel Bordeaux), en Corse et plus récemment à Marseille sur des projets d’espaces publics. dans les quartiers nord (Le Grand Saint-Barthélémy, La Castelanne, La Solidarité, …) comme dans les quartier fragiles socialement proches du centre (Saint-Mauront, Place de Strasbourg, rue Camille Pelletan, Porte d’Aix). Mais là certains projets étaient plutôt pour venir en aide aux associations de quartiers contre des projets aberrants. J’ai aussi soutenu activement un collectif (« onselaissepasfaire ») créé aux Crottes contre le projet Euromed 2, un projet ne prenant pas en compte le tissu des professionnels et des habitants de ce quartier abandonné depuis plusieurs dizaines d’années déjà. Ce collectif consistait à éveiller les habitants aux transformations de leur quartier et à leur éviction potentielle comme cela s’est fait sur le périmètre d’Euromed 1 rue de la République et les tentatives dans le quartier de Belsunce. C’est surtout à Bordeaux que j’ai pris conscience que malgré de bons cahiers des charges de concours il était nécessaire de fouiller les politiques publiques en matière sociale et de logement pour vérifier que le projet proposé par la collectivité était ou pas vertueux en matière sociale.
Le travail récent à la Castellane est un bon exemple de ce que je pense être une bonne manière de travailler pour l’aménagement de projets urbains : sensibilisation des habitants au projet, ateliers de projet avec eux, réalisation de maquette avec la population, explication des enjeux d’une rénovation et des risques pour certaines populations fragiles, … quels leviers employer pour faire poids auprès des politiques et préserver les populations fragiles.

Comment appréciez-vous l’approche municipale du projet de réaménagement de la Place Jean Jaurès et des quartiers adjacents ?
Un mur de Berlin en guise de dialogue avec ses habitants, est le symbole d’un urbanisme rétrograde mené contre les usagers !
Si on prend l’exemple d’un projet très mal parti, c’est bien celui de la Plaine à Marseille (place Jean Jaurès).
La rénovation urbaine renvoie à des périodes parfois sombres de notre histoire. Je pense au Baron Haussman qui a sévit à Paris sous couvert du courant hygiéniste de l’époque et de la lisibilité de la ville. Un des éléments essentiel de cet urbanisme tiré au cordeau prépare en fait ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui la prévention situationnelle très utilisée dans les quartiers « chauds » de Marseille et des quartiers de la rénovation urbaine en général et notamment dans les secteurs de l »ANRU » (Agence Nationale de Rénovation Urbaine) : quartiers dans lesquels on retrouve des populations fragiles socialement mais aussi les trafics illicites en tout genre. 
Cet urbanisme radical a trouvé à Marseille ses lettres de noblesse, entre autre, dans la réalisation de la rue de la République qui a permis non seulement de relier le Vieux Port à la Joliette mais également de transpercer la butte du Panier qui était reliée anciennement à celle des Carmes.
On voit bien d’ailleurs les traces de cette béance dans les arrières des bâtiments de la rue de la République.
Cet urbanisme a permis de « casser » les soulèvements des Marseillais à l’époque des famines dont les ruelles étroites et tortueuses ne permettaient pas à l’armée ou bien à la Police d’entrer facilement.
Curieusement, à la fin XXeme et au début du troisième millénaire, les premières actions d’Euroméditerranée ont tenté de transformer la rue de la République, premier élément du « triangle d’or » cher à nos élus marseillais de l’équipe Gaudin qui relie Vieux Port, Gare Saint-Charles et Port de la Joliette où l’on fait arriver aujourd’hui les bateaux transportant les riches croisiéristes histoire de les balader dans un Marseille « propre ». Le maire de Marseille ne s’en cache d’ailleurs pas, il souhaite virer les pauvres du centre-ville pour y attirer les touristes (voir le livre de Bruno Le Dantec : « La ville sans nom, qui a dit çà ! »)
L’ensemble de la politique urbaine du centre-ville de Marseille, aidée par les services d’Euroméditerranée tente de réaliser de la mixité sociale par le haut en essayant d’injecter des habitants aisés dans ce fameux triangle d’or. Les travaux sont par ailleurs bien avancés avec la gare ferroviaire des années 2000, l’avenue Charles Nédélec, le projet de la porte d’Aix, le Vieux Port, la rue de la République. Il manque encore le boulevard des Dames pour faire le lien et le secteur des Carmes.
Tout comme le Panier, quartier mythique de Marseille a fait l’objet d’une rénovation et de grands chamboulements par l’acquisition du bâti ancien dans ce tissu urbain hétérogène, le transformant en lui faisant perdre son âme avec les vendeurs de savonette fabriquées pour la plupart en Asie avec l’estampille « Savon de Marseille ». Bref, des aménagements dédiés à la marchandisation de l’espace public par ces magasins de souvenirs et pratiquement plus de ces petites échoppes que l’on trouvait avant la rénovation et qui faisait l’attractivité de ce quartier.
On voit bien là le schisme entre la réalité d’un lieu avec son tissu social, ses solidarités et une volonté de rendre « lisse » l’espace public : suppression des bancs, création de terrasses où l’on doit consommer.

D’après vous quelle est la cohérence qui se dégage de tous les grands travaux menés à Marseille dans la période contemporaine ?
On commence à distinguer en creux ce qui forge la politique de rénovation de la ville de Marseille : marchandisation de l’espace public, spéculation du parc de logements concomitamment avec les actions de rénovation et politique sociale d’éviction. Pour avoir observé ce phénomène à Paris quand Chirac était maire de la capitale, Marseille suit le même chemin. Pour l’avoir étudié notamment rue de la République où des pans entiers de la rue n’ont pas trouvé preneurs : les Marseillais plus aisés que ceux du nord de la Canebière restent au sud de la Canebière. Résultat des fonds de pension américains attendent que les prix montent pour ne pas brader les logements et les pas de porte, (surtout les commerces) !
Ainsi le tissu social et de solidarité du quartier de la rue de la République a explosé lors de la rénovation de cette rue car le seul accompagnement des populations résidait dans la manière de leur trouver un logement ailleurs (de nombreux articles et vidéo existent sur cet évènement digne parfois de manières de voyous).
A la Plaine il semble que les manières et modalités soient les mêmes : fausse concertation (informative a minima), projet de nettoyage notamment du tissu commerçant des forains (il en restera 80 triés sur le volet et il n’est pas sûr que ce soient les mêmes) au lieu des 3 à 400 et quelques existants aujourd’hui.  
Un projet plus intéressant et moins violent pour les populations aurait été de le fabriquer avec ses habitants, ses usagers, ses commerçants pour en évaluer ses besoins et surtout proposer une politique sociale d’accompagnement des personnes fragiles, proposer un phasage des travaux comme il en était question au démarrage pour perturber le moins possible les activités commerçantes foraines et les usages quotidiens. L’objectif d’une rénovation ne doit pas être de tout bouleverser mais bien d’accompagner sincèrement et honnêtement les populations locales dans cette transformation.
Il ne doit pas s’agir d’aménagement mais de ménagement du lieu dont l’activité, l’animation, les usages et l’intensité sont aujourd’hui si forts. La politique urbaine doit accompagner cette dynamique et pas la changer.
Ce projet de ménagement est possible mais il faut que la municipalité n’ait pas peur de travailler avec ses habitants.
Dans sa conférence de presse de lundi 29 Octobre, M. Chenoz ment quand il parle des « activistes » qui ne veulent pas de ce projet car c’est en fait un très grand nombre d’habitants du quartier qui n’en veulent pas, en tout cas pas tel qu’il a été proposé.
C’est aussi un projet très cher 600 euros par m2 environ alors qu’avec 250 euros/m2 on fait un projet qualitatif (Place de Strasbourg au bord de l’avenue Camille Pelletan) et accueillant. Plus de 200 assises y ont été implantées (si on compte les assises aussi de la voie et de la place Roussel). Plus on « plante » des bancs, moins on ostracise.

Un projet de requalification sobre peut être réalisé avec une grande ambition, celle de proposer enfin un projet d’envergure co-construit avec ses usagers à Marseille.
J’ai l’impression que les élus de Marseille, encore une fois, sont à la traîne en matière d’innovation alors que les techniciens de la ville font un travail de fond pour la préparer aux enjeux de demain ! Il est temps de changer ces « édiles » qui sont au pouvoir dans cette ville.

Jérôme Mazas
paysagiste DPLG, paysagiste-conseil de l’état
enseignant de projet à l’ENSP de Versailles – Marseille.
contact : jeromemazas@mac.com

Publié en 2018 par alain barlatier

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